jeudi 20 juin 2013

LE SAC DU VIRGIN MEGASTORE COMME MÉTAPHORE DU XXIème SIÈCLE

 












LE SAC DU VIRGIN MEGASTORE COMME MÉTAPHORE DU XXIème SIÈCLE

Par Yanne


Le 13 mai 2013, au Virgin Megastore des Champs Elysées à Paris, c'est soldes. Réduction de 50%. Et même 20% de plus pour tous ceux qui disposent d'une carte Virgin.

C'est l'épilogue d'une aventure qui mêle deux géants capitalistes, la Virgin qui a été créée par Richard Branson, milliardaire à la mode, financier médiatisé, et le groupe français Lagardère, gouverné par un fils de… qui massacre allègrement l'héritage, mais n'est pas près de le dilapider vue l'étendue de la fortune.

Les soldes sont la conséquence de la cessation de paiements du Virgin Megastore. On ferme, contraint et forcé, et on liquide tout, pour payer les créanciers, entre autres les salariés.

Un article qui a fait le tour du net, visible ici sur Rue89 (http://www.rue89.com/2013/05/16/soldes-a-virgin-etes-comportes-comme-pourritures-242388), raconte comment c'est devenu n'importe quoi, parce que ces soldes vont dégénérer en razzia, en sac. En quelques heures, les salariés vont se faire agresser, insulter. Par la suite, les injures vont continuer sur Twitter.

Au-delà de l'histoire narrée par un jeune homme dont la nana a été débordée par les événements, le récit de cette razzia m'a semblé hallucinant et m'a profondément choquée, autant en raison de la situation de fait que parce qu'elle dit l'époque d'une façon très triviale.

Le Virgin Megastore a ouvert en 1988 au cœur des Champs Elysées, l'avenue la plus chic de la capitale française, dans un bâtiment qui a été une banque.
Il concurrence le seul géant de la culture d'alors, la FNAC et ses énormes magasins au centre de Paris. Mais il est plus fun, plus moderne, et ses vendeurs changent des renifleurs insupportables de la FNAC qui vous font payer par leur arrogance et leur dédain le seul fait que vous leur posiez une question. Pas de ça au Virgin MEGASTORE, ce qui sera toujours ça de gagné. D'ailleurs, dans les années qui suivent, les vendeurs de la FNAC ont changé leur attitude. Plus tard, les jeunes salariés up to date de Virgin vont arborer des tee-shirts demandant à travailler le dimanche, car le temps est celui de la mondialisation heureuse, celle où les travailleurs non seulement se laissent tondre la laine sur le dos sans hurler, mais même en redemandent. Regrettable.

La culture m'a tué.

Virgin Megastore se présente comme vendant des produits culturels et revendique « La culture du plaisir ». En réalité, ce qui figure dans ses rayons, ce sont des produits de haute consommation, de la simili-culture vendue à coups de marketing manipulateur et de publicité tapageuse par des multinationales.
Régulièrement, des consommateurs décérébrés campent sur les trottoirs, pour être les premiers à acheter à la sortie de produits marketés mondialement au kilomètre, et qui sont vendus en masse, par millions d'exemplaires. Oui ! Vous ne rêvez pas, ils dorment sur le trottoir pour récupérer des objets de consommation qui seront disponibles douze heures plus tard par millions et dont la vente est  conçue pour qu'il n'y ait jamais de rupture de stock !
Mais évidemment, personne ne pense même à le leur faire remarquer. Au vingt et unième siècle, les phénomènes de consommation de masse hystériques n'étonnent personne, et surtout pas les médias. La preuve par le sac du Virgin.

Le nec plus ultra de ces articles, ce qui va attirer tous les razzieurs, c'est le smartphone et sa variante l'IPad. Les produits du 21ème siècle par excellence. Conçus par de coûteux cabinets de recherche en occident qui laissent la fabrication à des sociétés chinoises qui font ignorer à leurs esclaves légaux qu'ils manipulent des produits dangereux, des métaux rares dont l'exploitation ruine l'Afrique, ils sont le symbole de la communication de la vacuité. Tout est possible, cette communication peut se faire partout. Mais pour dire quoi ? Tous les ados comblent leur manque de perspective d'avenir, le déclin de sociétés entières incapables de subvenir à de vrais besoins culturels, l'étranglement des révolutions culturelles qui émergent et qui ne généreront pas d'argent pour ces géants capitalistes.

Cette société du spectacle à travers le smartphone illustre une autre idée, chère à Mac Luhan, qui est que le message est le média. Si on se précipite sur chaque nouvelle version du smartphone, c'est que le rythme des sorties « révolutionnaires » tient lieu de recherche culturelle.
Dans ce monde où depuis quasiment vingt cinq ans, avec l'essor de l'ultra-libéralisme, on continue la même mode vestimentaire après des modes qui se sont succédées tous les dix ans depuis plus d'un siècle, et où aucun courant artistique n'a émergé pour marquer l'époque, les nouveautés des gadgets technologiques remplacent le renouvellement culturel.

En culture pure, livres et musique, la plupart de ce qui se vend est également conçu comme des produits de grande consommation qui vont permettre de faire des économies d'échelle qui engraisseront les actionnaires et non comme biens culturels, diversifiés et novateurs. Le foisonnement culturel  au cours (au moins) du siècle qui a précédé la grande glaciation des années 90, a éclaté les cultures musicales, littéraires et cinématographiques, et la spécialisation donne l'illusion de la diversité et de l'évolution. Mais en réalité, le contrôle des majors est tel que rien de réellement nouveau n'émerge.
Une culture à l'arrêt, impossible à faire repartir à cause des grandes sociétés financières qui trustent tous les canaux de diffusion, y compris en dernière ligne les médias, annoncent un recul majeur dans l'expansion de nos idées et de notre mode de vie, en tant qu'ils sont diffuseurs d'une idée démocratique qui de toutes façons, se réduit en occident comme peau de chagrin.

Mais c'est également l'origine de la chute même du Virgin Megastore. Autant acheter gratuit ce qui n'est que de la répétition. Pure et simple, parce qu'au bout du compte, ça ne vaut rien.... Et autant se précipiter sur les pantomimes amateurs des youtubbers ou les parodies du gangnam style, si tout est formaté pour ne rien dire. Alors exit  les grands blockbusters de la vente soi-disant culturelle. Pas assez de bénéfices pour les actionnaires. On ferme ! La médiocrité précède la chute totale.

Razzia sur les soldes

Mais plus que tout, cette ruée aveugle de centaines de personnes branchées qui se précipitent sur des objets manufacturés a quelque chose d'hallucinant.

La tension est déjà là, quelque chose ne tourne pas rond. Une ambiance, une attitude.
Le service de sécurité fait grincer les gonds. Sésame, ouvre-toi. Les chiens sont lâchés, le chaos peut commencer.
Des centaines d'humains, visages déformés, hagards, montent en courant au premier étage, se poussent les uns les autres. Une femme chute dans le grand escalier. Personne ne l'aide à se relever.

Le texte explique comment en quelques heures, tout est raflé, dans une foire d'empoigne où les consommateurs font n'importe quoi et traitent les vendeurs comme des chiens.

« C’était la folie. Ça poussait de tous les côtés. Les plus pressés montaient les marches quatre à quatre pour aller dans les rayons hi-fi. Mais il y avait peu d’articles. Du coup, certains clients arrachaient de leur socle les appareils photos ou les tablettes en exposition. Les alarmes retentissaient de toutes parts.  (…) Et pourtant – forcément – ils vomissent, quand le coup de sang est passé. Où ? Aux caisses. C’est réellement là qu’ils font leurs emplettes, leurs « bonnes affaires » : alors ça oui, je prends, ça non, ça oui, ça non... Ils reposent alors ce qui, en fait, ne les intéresse finalement pas.
L’attente dans la file est en moyenne de 1h30. Derrière les caissières, des centaines de produits divers s’entassent en dizaines de colonnes, trop rapidement dégueulés pour être rangés convenablement. (...)
  « Vous devriez être contents, on rachète vos indemnités » 
  «C’est scandaleux, les vendeurs se sont servis avant nous ! » 
   «Vous n’allez pas vous plaindre d’être bientôt au chômage : vous vendez aujourd’hui, et je contribue en achetant. »

En réalité, cette attitude n'a rien d'étonnant en soi pour qui essaie de comprendre le monde du 21ème siècle.
Ce n'est qu'à l'image de la façon dont les salariés sont traités partout, dans le monde.

Désormais, la variable d'ajustement, c'est l'être humain. L'être humain comme substitut à la mécanique, et traité à ce titre comme une mécanique. Comme un objet corvéable à merci, et à qui on n'accorde pas le statut de personne à part entière.
L'être humain qu'on enferme et fait mourir par millier dans des bâtiments qui s'écroulent au Bengladesh.

Seuls les actionnaires sont des personnes qui méritent qu'on s'y intéresse. Les prolétaires sont de simples pièces qu'on peut remplacer à n'importe quel moment. Avec la mondialisation, un double effet s'est répandu : c'est le statut  des travailleurs dans le tiers-monde qui a déteint sur celui des salariés en occident, et non le contraire, et le capitalisme de type tiers-monde, avec des conditions dignes du 19ème siècle, qui a prévalu.
Le statut du prolétaire, c'est celui de la machine. Sauf que c'est un coût, et uniquement cela.
Forcément, la dignité du travailleur en tant qu'être humain s'en ressent. Et des discours politiques qui jugent le chômeur comme un profiteur, et le salarié comme un coût et non une richesse pour l'entreprise, font florès, influençant toute une catégorie d'indigents du cerveau, du style qui alimente  la trollitude sur internet. Cette trollitude étant pour l'essentiel, probablement, eux-mêmes des salariés ou des chômeurs.

La culture de la prédation

Et enfin, ce qui symbolise encore davantage le XXIème siècle, ce sont les rayons vides, pillés.
L'image du pillage généralisé des moyens et des produits. Dans le grand mouvement qui accompagne le réchauffement climatique et l'épuisement des ressources, le gaspillage de tous ces produits de surconsommation avec des marchés émergents de plus en plus avides des mêmes biens qu'en occident, aboutira tôt ou tard, et dans une accélération de plus en plus patente, à la disparition de tous les biens de consommation, y compris ce qui est essentiel, les produits de base. Déjà, les ¾ des céréales cultivés dans le monde le sont pour nourrir les animaux afin de produire de la viande.
Avec l'expansion des modes de consommation occidentaux, et les impératifs de croissance à tout prix induits par le libéralisme, nous sommes menacés à moyen terme de nous retrouver à l'échelle planétaire privés de tout.
Comme pour la fonte de la banquise, et les conséquences néfastes à l'échelle  planétaires, les profits qui sont tirés à court terme, la promesse du passage du nord-est d'une part, et l'économie de la remise en cause du modèle d'autre part, dissimulent les dégâts à long terme qui ne seront visibles, donc réels, qu'après un certain temps. D'ici là, on se goberge à tous les étages, personne n'est responsable, et personne ne prend la responsabilité d'arrêter.

Tout le monde s'empoigne pour contrôler les ressources. Les zones de gisement des hydrocarbures sont changées en poudrières où les sociétés multinationales qui tiennent le haut du pavé ont réussi à phagocyter les états par le lobbying, mot qui est l'autre nom pour de la corruption à peine déguisée.

Il faudrait discuter sereinement de la remise en cause du modèle économique qui n'est pas viable à long terme et va nous conduire à des catastrophes mondialisées et à des guerres pour se disputer les ressources, l'eau, les minerais, les hydrocarbures, la nourriture lorsque le réchauffement climatique aura transformé d'immenses étendues de terre arable en déserts. Mais il est plus simple de ne rien faire et de se voiler la face.


Le syndrome du XXIème siècle pourrissant sur pied

Bientôt, si nous ne réagissons pas, nous fermerons les portes, comme celles du Virgin Megastore, on nous foutra au-dehors de notre propre monde, comme des propriétaires étranglés par les subprimes. Nous aurons alors le plaisir de descendre les Champs Elysées, qui chez les Grecs anciens, étaient le lieux des enfers où les héros et les gens vertueux goûtent le repos après leur mort.

Plus rien, c'est vide, il n'y a plus rien, que des étalages désertés. Des petits tas de livres et des étuis de CD Rom, restes dérisoires de notre culture, s'étaleront devant les caisses, pour signifier que nous avons été vivants, que nous avons produit de l'art, de la culture, de l'avenir. Que nous avons été les phares du monde dans la nuit de l'humanité. Et que lorsque les autres ont rejoint notre liberté de vivre et d'agir, nos facilités de création, alors le vent a soufflé et tout s'est dispersé.

En vérité, nous ne serons plus qu'à l'image de ces rayons où gisent des papiers gras et des canettes, les restes de ce qu'on veut faire de nous, une masse indifférenciée prête à gober n'importe quoi.

Et cet immeuble vide et dérisoire, ce vaisseau de pierre, cette ancienne banque reconvertie en temple de la consommation culturelle de masse qui sera rempli bientôt par un autre géant  du capitalisme, sépulcre blanchi où ne souffle que le vent des incertitudes et des rêves de consommation brisés, un monde sans esprit et sans génie, soumis aux impératifs du matérialisme libéral jusqu'à l'épuisement de toutes les ressources.

Si nous n'arrêtons pas très vite, si nous ne réagissons pas, ce sera le monde de notre vacuité et de notre mort.



6 commentaires:

  1. On se gausse des ruées des supporters de foute, à qui on prête un cul-i à deux chiffres. Là, il s’agit de geeks, de gens supposés instruits, cultivés, et qu’on voit bien arroser de leur mépris les types à foulards, banderoles et cannettes de Kro.

    Mais il a suffit de peu, enfin, de l’appât du gain, pour que le vernis craque et que ressorte la barbarie.

    La première fois que j’avais vu un phénomène de consommation de masse hystérique, c’était à la sortie orchestrée du livre du petit potier sorcier. Alors qu’il a suffi d’attendre quelques années voire quelques mois pour le trouver à 50 cts sur les vide-greniers

    (Quelques mois car c’est de la littérature kleenex : une fois lu hop on jette. Pas comme un livre d’un auteur « paronyme » : MK Rawlings. Il s’appelle Jody et le faon, on le trouve sur internet en Albin Michel ou en Folio junior. Éviter la version courte, non, massacrée, de Hachette)

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  2. Merci de ce fort Billet, Yanne.


    La culture de la prédation, oui. Elle est ici d'une visibilité choquante car elle est concentrée en un espace-temps étroit, donnant libre cours au pire trait des humains: leur sauvage égotisme.


    Et à notre ère de glaciation mercantile et "computationnelle",la prédation d'objets de "communication" à distance, dans le virtuel plutôt que dans le réel, excite les appétits...

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    1. Le souffle, la lucidité, la pertinence, un regard aigu sur la montée de l'insensibilité qui accompagne la montée de l'insignifiance, peut-être l'indispensable anesthésie pour supporter le ravage en cours, destruction et auto-destruction, l'étrange fascination que La Boëtie avait si bien vue.
      J'espère qu'on vous reverra.

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  3. A propos de mise à sac, je me souviens du lendemain de la tempête de l'année 2000, quand des arbres avaient été déracinés et des toits envolés.

    Dans le magasin Ecureuilloma où je m'étais rendue pour acheter des matériaux afin de réparer les dommages, j'ai vu, stupéfaite, des gens prêts à s'entretuer: ils se marchaient littéralement dessus pour acheter les tuiles ou les plaques dont le stock était insuffisant dans le magasin, et qui devenaient de ce fait des objets de convoitise, à tout prix.

    Nous avons été plusieurs à nous demander, très inquiets: "Qu'est-ce que ce serait si c'était la guerre?". L'aube dorée poindrait-elle ?

    Nous n'en sommes plus très loin.

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  4. Un accord de "fin de conflit" a été signé jeudi entre les organisations syndicales de Virgin et le mandataire judiciaire, qui satisfait les revendications financières des salariés, ont annoncé vendredi les syndicats de l'enseigne culturelle.

    Les salariés ont obtenu, comme ils le demandaient, que l'enveloppe consacrée au plan de sauvegarde de l'emploi, qui bénéficiera à un millier de personnes, soit portée de 8 à 15 millions d'euros.

    Sur ces 15 millions, "2,5 millions seront versés par l'actionnaire d'origine de l'enseigne Butler Capital Partners et le reste sera pris sur les fonds disponibles dans l'entreprise", a indiqué à l'AFP Karl Ghazi, délégué CGT.

    "L'occupation de huit magasins par les salariés de Virgin pendant dix jours a clairement été la clef de la résolution de ce conflit, qui a marqué les cinq derniers mois de l'aventure Virgin", indique le communiqué commun des syndicats (CFTC, CFE-CGC, CGT, FO et Sud).

    "Dans les heures qui viennent, les salariés vont quitter les magasins qu'ils occupent", précise le communiqué, avant la réunion lundi d'un comité d'entreprise portant sur le plan social qui concerne les 960 salariés de l'enseigne et la quarantaine de salariés des filiales.

    Le tribunal de commerce avait prononcé lundi la liquidation judiciaire de l'entreprise après avoir fermé définitivement les magasins pour des raisons de sécurité

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  5. Merci pour cet article.

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