vendredi 19 juin 2009

Gestation sans maternité et mère meurtrière


Gestation sans maternité et mère meurtrière

Par Monica

Nous avions, l’autre semaine, abordé une version controversée de la dissociation entre gestation et maternité : la « gestation pour autrui » ou « mère porteuse», qui permet la naissance d’un enfant.

La question sous-jacente était : comment une femme qui a porté un enfant peut-elle ne pas se vivre comme une mère et se représenter l’enfant comme celui d’un autre ?

Aujourd’hui, nous en abordons une autre, infiniment plus dramatique : la gestation sans maternité, suivie de la mort d’un enfant.

La question sous-jacente est : comment une femme qui a porté un enfant peut-elle ne pas se vivre comme une mère, et mettre fin aux jours de l’enfant ?

L’image de la mère s’avance, en ce deuxième cas, sur un mode mortifère, ce qui explique l’écho et l’émotion suscités par le procès dit des «bébés congelés».
_______________________

RAPPEL DE L'AFFAIRE

A Séoul, le 23 juillet 2006, un ingénieur, JLC, découvre dans un tiroir de son congélateur les corps de deux nouveau-nés. Sa femme est en France avec leurs deux enfants. Il alerte la police. Le couple est entendu par la police puis relâché. JLC affirme que sa femme, VC, n’a pu accoucher de ces nouveau-nés, car elle a subi une ablation de l'utérus en décembre 2003. Les tests ADN montrent cependant que VC et JLC sont bien les parents des enfants.

En Octobre 2006, le couple est placé en garde à vue et VC avoue qu’elle a étranglé les nouveau-nés «de la main droite» en 2002 et 2003, et affirme que son mari n'était au courant de rien. Puis elle avoue avoir tué et brûlé un autre nouveau-né en juillet 1999. Mise en examen, elle est écrouée, et poursuivie pour «assassinats». Le mari est mis hors de cause par la justice.

En fait, l'autopsie des deux nouveau-nés révèle qu'ils sont morts par «asphyxie» et non par «étranglement». La directrice de l'Institut médico-légal fait l’hypothèse que VC aurait apposé un «linge souple» sur le visage de ses deux nouveau-nés après l'accouchement et exercé une pression suffisante pour les asphyxier après qu'ils eussent crié, donc respiré. Chez l’un des enfants, une pression brutale avait occasionné des fractures au visage. Ces nouveau-nés avaient été privés d'air, après avoir respiré, puisque des fragments de leurs poumons pouvaient «flotter». Le premier enfant pesait 2,8 kg, le deuxième 3,2 kg.
_______________________

LES ENJEUX DU PROCÈS

Devant la Cour d'assises où a comparu VC, la notion de «déni de grossesse» a été mise en vedette. L’Association Française pour la Reconnaissance du Déni de Grossesse (AFRDG) a contribué à faire connaître ce trouble, militant pour que l'on admette officiellement que le corps humain a ses raisons que la raison ignore. Le déni de grossesse s’est invité au Sénat le 4 juin dernier : «Pour que la réponse à ces femmes malades ne soit plus la prison», la sénatrice du Val-de-Marne demandait à la Garde des Sceaux la reconnaissance juridique du déni de grossesse qui concernerait une naissance sur 500 en France.

Les questions posées par ce procès «des bébés congelés» sont multiples: Peut-on estimer qu'il y a eu ici «déni de grossesse»? VC a-t-elle eu conscience de ses actes ? Existe-t-il une pathologie psychologique qui associerait déni de grossesse et infanticide ? Ce diagnostic fait-il ou non disparaître la notion de «préméditation»? Pourquoi «dénier», tuer et congeler ce qui deviendra immanquablement des «pièces à conviction»?

Longtemps, la médecine a ignoré le «déni de grossesse», qui correspond au fait qu'une femme n'a pas conscience d’être enceinte. Une étude française récente, menée pendant sept ans auprès de 2 550 femmes hospitalisées dans des maternités, montre que parmi les 56 cas de déni, la moitié prennent fin avant le terme de la grossesse («déni partiel» : 27 cas) et l’autre moitié vont jusqu'à l'accouchement («déni total» : 29 cas).

Dans près de la moitié des cas, les femmes victimes d'un déni sont déjà mères d'un ou de deux enfants (26 femmes sur les 56 étudiées). Le fait d'être déjà mère ne protège donc pas contre le déni, et ne permet pas à la femme d'avoir conscience de son état de grossesse. Tous les milieux sociaux sont concernés. Dans tous les cas, le corps de la femme ne présente aucun signe caractéristique de la grossesse (prise de poids, ventre, masque de grossesse). Les femmes disent ne pas avoir senti bouger leur bébé. Pour certaines, des saignements mensuels réguliers peuvent exister.

Les femmes qui font un déni de grossesse et tuent leur enfant auraient, selon certains «psy », un profil psychologique particulier. Elles souffriraient d’une distorsion temporelle, étant incapables de situer une date ou un événement passé. Leur rapport à la sexualité et à la contraception serait singulier, elles seraient incapables de nommer les parties de leur anatomie intime, ignoreraient le fonctionnement de leur cycle, seraient incapables de s’appliquer à elles-mêmes ce qu’elles savent pourtant, notamment que la contraception permet d’éviter d’avoir un enfant. Elles auraient vécu dans des familles qui ne communiquent pas, et l’image maternelle serait chez elles toujours défaillante. Il en résulterait une altération de la représentation de l’enfant à venir, qui serait perçu comme un morceau d’elles-mêmes.

Lorsqu’elles passent aux aveux, ces femmes meurtrières ressentiraient une culpabilité telle qu’elles répondraient en fonction de ce que l’on attend d’elles. Elles auraient toujours vécu dans l’évitement de la parole, et de ce fait elles adopteraient une version qui n’est pas la réalité de ce qu’elles ont vécu. Le procès ferait partie de l’évolution de leur réflexion car elles ne comprendraient pas tout et pas tout de suite. D’abord émergerait la souffrance, puis la culpabilité et peut-être de nouveau le déni. Il leur faudrait beaucoup de temps, parfois des années, pour arriver à mettre des mots sur ce qui s’est passé.
____________________________

LE PROCÈS DE VC

Ce procès a attiré une foule très nombreuse. Les neuf jurés ont été tirés au sort sur les quarante désignés. Le ministère public et la défense ont retenu au total sept hommes et deux femmes.

L’avocate défendant les enfants du couple (deux garçons de 12 ans et demi et 14 ans) a réclamé le huis-clos pour les protéger, mais sa demande a été rejetée. Le président a admis que les enfants avaient pu souffrir des informations diffusées pendant l'instruction, mais il a jugé que ce procès avait pour objectif d'évoquer «dans le respect de l'ordre et des mœurs les faits reprochés».

Le procès a donc été public, l'accusée étant enfermée dans une cage de verre. Personne, dans la famille et parmi les amis, n’avait compris ce qui s’était passé. Personne n'avait rien vu. Frères et sœurs rappellent l'enfance de VC, sa gentillesse, sa timidité, son goût pour la lecture, son mieux-être après l’ablation de son utérus. Les enquêteurs ont certes exhumé des secrets de famille : une sœur aînée dont on cacha quelques années aux enfants qu'elle n'était pas de leur papa, et une dernière sœur née alors que les enfants n'avaient pas vu que leur mère était enceinte. Mais cela explique-t-il les actes d’ «infanticide» - un terme que la justice française a, depuis 1994, rayé de son lexique pour le fondre dans la catégorie générale des «homicides» ?

Le président du tribunal hésite également sur les mots désignant les petites victimes: faut-il parler de «bébés», de «nouveau-nés», de «nourrissons», d'«enfants»?

Deux discours s'affrontent alors dans le tribunal, radicalement antagonistes.

- Au nom de la justice à rendre, le président, qui a choisi de jouer le rôle de l'avocat général, veut «des faits, des arguments, une logique cartésienne».

- Mais VC et ses proches ne peuvent en aucun cas les fournir.

VC dit que, au début de ses trois grossesses clandestines, elle a eu un «flash» de grossesse puis elle n’a plus su qu'elle était enceinte. Elle n’a donc pas cherché à avorter. Elle dit qu'elle sait bien que ce qu'elle dit peut sembler «absurde» mais que c'est ainsi qu'elle a vécu tout cela. «Je l’ai su, puis je ne l’ai plus su, de temps en temps je l’ai su». Elle pleure, parle avec une voix de petite fille, pour dire qu'elle ne peut rien dire ; que ce qu'elle dit n'est, peut-être, pas la vérité.

Ce sont les psychologues, les psychiatres, les spécialistes et les défenseurs de la reconnaissance du droit au déni de grossesse qui vont tenter de fournir les explications demandées.

1) LE DÉNI DE GROSSESSE: LA MÈRE NON COUPABLE

Le lundi 15 juin, deux spécialistes réputés du déni de grossesse sont cités par la défense : un gynécologue obstétricien, qui s'intéresse à ce phénomène depuis plus de trente ans, et une psychanalyste psychologue, qui a écrit sur ce thème un ouvrage de référence.

L’obstétricien dit que les conclusions du médecin légiste sont pleinement concordantes avec son savoir et sa pratique. Mais il estime que l'on ne peut nullement en inférer que c'est la mère qui, après la naissance, a délibérément «étouffé» ses nouveau-nés. Dans l'immense majorité des cas, dit-il, une femme ne peut pas accoucher seule. «A la différence de tous les autres mammifères l'espèce humaine se caractérise par le fait que la taille du crâne de l'enfant à naître et quelques autres de ses dimensions anatomiques ne coïncident pas avec celles du bassin de celle qui le porte, explique-t-il. C'est pourquoi il faut toujours une aide. Il faut repositionner la tête de l'enfant vers l'arrière ce qu'une femme qui accouche seule ne peut mécaniquement pas effectuer. Elle ne peut qu'attirer la tête vers l'avant ce qui complique encore plus le dégagement des épaules. Et elle doit alors exercer un effort considérable de traction qui peut causer des dégâts majeurs. Il est alors pratiquement obligatoire que la tête de l'enfant, sorti, reste bloquée dans l'orifice vaginal. Si tel est le cas, c'est sans espoir». «Le recours à un tissu permet de mieux se saisir de la tête que l'on veut aider à sortir; une tête qui, à mains nues et du fait des viscosités, ne cesse de vous échapper.» Une tête, en somme que la femme voudrait «aider à sortir» alors qu'elle ne se sait (ou ne veut pas se savoir) future mère. Les professionnels parlent ici, tout simplement, d'«ambivalence».

Pourtant, VC avait déclaré que les deux enfants avaient «crié». Elle pense que oui, sans doute… ou que non. Elle ne sait plus, ne veut plus savoir. Alors, y a-t-il eu des cris en 1999, en 2002, en 2003? Selon l’obstétricien, il s'agissait peut-être non pas d'un «cri» mais d'un «gasp», qui se produit au moment où la tête est sortie du corps maternel alors même que le reste de son corps y est encore inclus. A ce stade il peut en quelques secondes engranger suffisamment d'oxygène dans ses alvéoles pulmonaires pour que l'on ait ensuite l'impression qu'il est bien né vivant.

L’image de la mère meurtrière ici s’éloigne.

Trois experts « psy » sont cités. Ils ont vu VC à quelques reprises à la maison d’arrêt. Ils ne sont pas vraiment d’accord sur les conclusions et les hypothèses que l’on peut faire pour expliquer les trois infanticides. Le «sujet» ne présenterait pas de «maladie mentale avérée» tout en montrant des symptômes de «dissociation», un état entre névrose et psychose. Il serait aussi «ambivalent», témoignant volontiers d’une «inaffectivité», d’une «image de soi dépréciée», des «craintes de ne pas être à la hauteur». Il a été question d’une forme « d’hystérisation» chez cette femme qui s’est trouvée «soulagée» quand on lui ôta son utérus après la très grave infection qui suivit le troisième infanticide. Pour autant, VC n’est pas «perverse».

Les spécialistes de la psyché ont parlé d' «adhésivité» : ne pouvant procéder à une introspection et compte-tenu de ses «défenses archaïques», elle répond ce qu'elle croit que celui qui l'interroge a envie d'entendre. «Ce que je ressentais pendant l’instruction, c’est que j’étais un monstre. Je prenais conscience de ce que j’avais fait et la mise en lumière de cette découverte a été terrible. Je me suis retrouvée face à quelque chose que je m’étais toujours caché. On me prouvait par A plus B que j’étais un monstre, alors j’ai parlé comme tel» dit VC.

- Le président : «Les enquêteurs et le juge d'instruction ont tous noté votre froideur quand vous avez reconnu les faits: aucune émotion quand vous avez relaté la façon dont vous aviez tué vos bébés. Pas de remords, pas de regret».
- VC : «Je ne suis pas quelqu'un de froid»
- Le président : «Pas de remords, pas de regrets?».
- VC : «Je ne pouvais pas, même après les aveux. Des bébés pris comme une réalité, comme une existence, comme individualisés il n'y a pas si longtemps... Je ne suis pas quelqu'un de froid. Je ne sais plus ce que j'ai voulu dire».

Pourquoi, à Séoul, allait-elle régulièrement vérifier que les deux cadavres étaient toujours bien présents dans le congélateur ? «Eh bien... pour voir si c'était vraiment vrai, si j'avais vraiment mis ces choses dans le congélateur».

VC a tout fait pour garder ces corps auprès d’elle. Lorsque, en 2003, le congélateur tombe en panne, un seul petit clandestin y est alors caché. VC entrepose le corps le temps qu’un nouvel appareil soit livré. En juin 2005, le couple déménage. VC transporte alors les corps dans un sac jusqu’à la nouvelle maison. «Je n’ai pas pu les jeter, dit-elle en sanglotant silencieusement. Je sais que c’est bizarre… ce que j’ai fait est tellement monstrueux, mais je ne pouvais pas m’en séparer. En les congelant, je voulais peut-être les garder auprès de moi». Elle ajoute : «Je vérifiais de temps en temps leur présence dans le congélateur. Cela peut paraître absurde, mais je voulais vérifier qu’ils étaient vraiment là».

2) LA MÈRE MENTEUSE

Elle semble tellement correspondre, pratiquement point par point, au profil psychologique des femmes infanticides après déni de grossesse, que l’avocat général lui demande si ce n'est pas durant sa détention qu'on lui a appris l'existence de ce «déni de grossesse» dont on parle tant et tant aujourd'hui. Ne lui a-t-on pas donné un livre sur le sujet? Oui, mais elle ne l'a pas lu. En revanche elle a vu à la maison d'arrêt une émission de télévision où une femme avait raconté avoir jeté son nouveau-né avant de le retrouver et de l'élever.. «Mais je ne sais pas si je ressemble à ça, dit-elle. Je ne sais pas trop. Je cherche. Ce que j'ai fait, je l'ai fait

L’un des psychiatres qui a rencontré VC à trois reprises rejette catégoriquement toute altération de son discernement au moment du passage à l’acte et, de fait, toute atténuation de sa responsabilité. «Elle nous a dit à plusieurs reprises qu’elle se savait enceinte, qu’elle a laissé sa grossesse évoluer et qu’elle se cachait avec des vêtements amples», répète-t-il. Pour lui, il s’agit tout simplement d’un «mensonge» : «Elle a menti pendant 27 mois».

Or, pour mentir à son entourage si longtemps, cacher trois grossesses, trois accouchements et trois infanticides, il faut, selon le psychiatre, qu’il y ait eu «clivage» : «Le clivage, c’est la capacité à se scinder en deux personnes : la femme ordinaire, bonne épouse et bonne mère d’un côté, et puis de l’autre, quelqu’un capable de mener un acte extraordinaire. C’est une face cachée très localisée dans son psychisme, se situant au niveau de la maternité».

L’expert avance même que VC tirait de cette situation un «certain plaisir» : «Après le premier infanticide, elle a peut-être été elle-même surprise par la facilité avec laquelle elle est parvenue à dépasser cette première épreuve, peut-être à y ressentir le plaisir secret du pouvoir à donner la vie et la mort». «Je ne parle pas d’un plaisir conscient, mais Mme C n’ayant pas de statut affirmé sur le plan familial, elle avait de fait un pouvoir en détenant ce secret. Elle a pu ressentir du plaisir dans la façon dont elle a dominé ses sentiments et grugé son mari».

Pour ces experts, VC n’a pas un déni de grossesse mais un «refus de maternité». «Elle a toujours été parfaitement consciente de son état de grossesse, sans aucun phénomène confusionnel ou délirant, ayant toujours gardé sa parfaite maîtrise d’elle-même».

3) NUANCES

Pour un autre spécialiste, le problème est plus délicat. Les morts d’enfant dont il a eu connaissance étaient des cas de déni total où la femme ne se savait pas enceinte jusqu’à l’accouchement. Ces femmes disent qu’un «truc» est sorti d’elle, elles parlent d’une «chose» et se débarrassent de l’enfant comme elles se débarrasseraient d’un encombrant. Or il semblerait qu’il y ait eu chez VC la conscience d’être enceinte, au moins durant les derniers mois, et la préméditation de se débarrasser, non pas d’un enfant, mais de ce qu’elle considérait comme une «prolongation d’elle-même».

«L’affaire n’est pas simple», car on ne peut écarter le déni de grossesse à 100 %. «Chaque cas est particulier, reprend l’expert. Dire “elle savait” ou “elle ne savait pas” est peut-être caricatural. Un déni peut évoluer avec le temps ; il peut y avoir des moments de lucidité où la femme prend momentanément conscience de son état avant un retour du refoulé ; le déni peut s’installer progressivement dans la vie d’une femme, avec une première grossesse normale, une seconde un peu plus discrète, puis une troisième où le déni est total ; il est aussi possible qu’il y ait eu déni, prise de conscience tardive, puis impossibilité totale d’assumer cet état».

VC est malgré tout incapable de s’expliquer davantage. Si elle n’a pas prémédité ses actes, elle a tout de même laissé ses grossesses évoluer. Que pensait-elle faire, si ce n’est les tuer ?

Quand le Président demande à VC de revenir à ces matinées où elle a accouché seule, accroupie dans la salle de bain, elle dit en pleurant : «J’ai des souvenirs confus, sous formes d’images très brèves, sans savoir de quel bébé il s’agit». Très lentement, elle dit : «J’ai le souvenir d’être dans la salle de bain, d’une sensation physique du bébé qui quitte mon corps ; je pense ensuite qu’il se met effectivement à crier. J’ai l’image de ma main sur un visage».

L’avocat de la défense tente d’aider sa cliente : «La seule question qui vaille dans ce procès madame, c’est “pourquoi” – alors, dites-nous : pourquoi ?»

Silence de VC qui finit par dire : «Je n’ai pas de réponse qui soit en adéquation avec la gravité des faits. Ce que je sais, c’est que ces grossesses n’ont pas été à l’image de celles de Jules et Nicolas à qui je parlais et que je sentais bouger. Je me dis aussi aujourd’hui que si j’avais su parler et me confier à l’époque, rien de tout cela ne serait jamais arrivé».

L’avocat plaide. Tuer un enfant est un tabou et doit le rester. Il dit que ce qu'a fait sa cliente est certes horrible mais qu'elle est tout sauf un «monstre ». Il met en perspective les expertises psychiatriques, en éclaire les contradictions, se moque du jargon. Il écarte l'hypothèse de la perversité. Il demande aux jurés non pas «l'impossible» mais «l'impensable». Faire en sorte que VC rentre chez elle après avoir accepté le principe de l'injonction thérapeutique et avoir reconnu la monstruosité de ses gestes.

Au terme de la plaidoirie, le président demande à l'accusée si elle veut ajouter quelque chose pour se défendre. VC se lève. «Oui... J'ai essayé de m'expliquer... Je n'ai sans doute pas toujours eu les mots... à la hauteur. J'ai conscience d'avoir tué nos enfants... Cela me restera tout le temps».

Le tribunal n’a pas retenu la préméditation et a condamné VC à 8 ans de prison : elle devrait donc rentrer chez elle dans 18 mois.

Ce verdict permet de proposer des réponses aux questions que pose ce procès :

- A-t-on estimé qu'il y ait eu «déni de grossesse»? Oui

- A-t-on estimé que VC ait eu conscience de ses actes ? Non

- Existerait-il une pathologie psychologique qui associerait déni de grossesse et infanticide ? Oui

- Ce diagnostic ferait-il disparaître la notion de «préméditation»? Oui

- Pourquoi «dénier», tuer et congeler ce qui deviendra alors immanquablement des «pièces à conviction»? Parce que les enfants étaient une partie d’elle, et peut-être parce que la culpabilité était sous-jacente, et qu’il lui faudrait un jour assumer les actes.

7 commentaires:

  1. VC est dans un déni partiel de grossesse. Elle se sait enceinte de temps en temps. C'est surtout, apparemment, un déni d'accouchement. Il montre l'impossible séparation.

    Elle dit avoir brûlé le premier nouveau-né,elle ne sait sans doute plus si c'est vrai puisqu'elle n'en a pas la preuve comme elle l'a pour les deux autres. Ces deux-là, elle les congèle, les garde, ne s'en sépare jamais, les surveille. Elle doit être très vigilante, c'est-à-dire y penser en permanence.

    Les deux nouveau-nés sont un prolongement d'elle-même, et ils sont aussi la preuve de ce qu'elle a été capable de faire pour ne pas se séparer d'eux.

    Elle risquait de se faire prendre, mais la nécessité de garder les nouveau-nés était plus forte que le risque.

    VC a certainement une pathologie mentale particulière qu'il lui faudra élucider. Cela l'aidera, mais aidera aussi à éclairer peut-être en partie l'énigme du déni de grossesse.

    Cela permettra peut-être de sortir des hypothèses psychologiques formulées lors du procès, qui sont loin d'être convaincantes.

    RépondreSupprimer
  2. Il est vrai, chère Spécula, que les "arguments psychologiques" énoncés lors de ce procès sont peu convaincants. Et l'avocat (Maître leclerc) n'a pas eu de grandes difficultés à les démonter, à en montrer l'approximation et les contradictions.

    Le "profil psychologique" des femmes présentant un déni de grossesse (associé ou non à un infanticide)ressemble à tant d'autres profils psychologiques.... y compris de femmes qui mènent des vies à peu près normales. Car des femmes qui ne connaissent pas leur corps ou qui ont une "mauvaise image maternelle" sont légion...

    Comme d'habitude, la psychologie cherche "la cause de ce qui cloche" en recourant à ses schémas de référence, qui sont toujours stéréotypés.

    Cette affaire révèle des pans mal connus de la maternité, de la grossesse - qui n'ont rien de "naturel" ou d'évident - et comme vous le suggérez, elle va permettre de mieux saisir les mécanismes à l'œuvre dans les "ratés" de la maternité, et d'éviter ainsi, peut-être, que se nouent quelques et glaçants sombres drames.

    RépondreSupprimer
  3. Bonsoir et avant tout merci pour votre écrit clair qui amène à des réflexions sur ce qu'on appelle "l'affaire Courjault".

    Les quelques pistes de réflexions que j'ai pu dégager à partie de votre travail sont:

    1-Les experts en psychiatrie ne détiennent aucune vérité.Bien souvent nous avons tendance à penser que les tréfonds de l'inconscient vont être examinés par un expert qui va pile poil nous dire le diagnostic exact.Nenni.

    Et j'en suis ravie!

    La connaissance de nos boites noires a des lacunes, des limites:je trouve cela rassurant que l'on n'ait pas une science exacte sur l'inconscient.
    Me voilà rassurée:il n'y a pas une typologie de la femme qui congèle ses enfants!

    Ce qui me convient , c'est que dans une époque où l'on veut expliquer, maitriser (rappelez vous le gène du pédophile, le gène de l'enfant hyperactif, cf MR MUNICH grand conseiller de Sarko) pour essayer de résoudre l'humain à une étiquette ,à un classement immuable , là aucune explication simpliste n'a été fournie.


    Ouf :MME COURJAULT échappe à une classification et elle garde son mystère et son étrangeté.

    J'en profite pour me faire plaisir:suite à une agression grave , il a fallu que pour les Administrations, le Tribunal je passe des expertises psy:7 aux compteurs!Je peux faire un classement du plus fêlés au plus professionnel.Savoureux de lire tout et son contraire et surtout de lire que je suis bien habillée , ma couleur de cheveux, par exemple comme éléments d'expertise !

    Ce qui m'amène à la conclusion sur les experts:ce sont des humains avec un savoir mais ils ne détiennent aucune VÉRITÉ et heureusement la justice commence à questionner la valeur de ces expertises.

    -------------

    2-La maternité, le déni de grossesse.

    Je n'arrive pas à comprendre si MME COURJAULT était dans un déni de grossesse ou pas.A telle eu des moments où elle sentait la vie en elle?
    Cette femme m'interroge et touche des émotions de femme.
    Sa façon d'être face à la maternité, son étrangeté restent un mystère.
    Je sorts de mon éducation , de ce que j'ai ingurgité comme schéma par l'école , la famille , la socièté pour ne pas être dans le jugement.

    De là ,je me dis que cette femme a une façon d'être absente dans son corps qui porte un enfant.

    Comme si elle était dédoublée, absente à ce qui lui arrive, , découpée, sujet et objet.

    J'imagine la souffrance que cela doit être :vous le dites très bien elle ne peut pas se séparer des corps.Et elle ne peut pas vivre avec.

    Dans mon métier j'ai vu des abandons, des accouchements sous x:évidemment, on cherche toujours le sens de ces décisions.Il ne s'agit pas de vouloir"savoir".Mais de comprendre pour avancer avec la personne en la respectant dans son choix.

    Me Courjault est pour moi la figure de l'étrangeté....celle qui sommeille en nous et qui nous fait peur.Elle nous renvoie cette question:est ce que ça aurait pu m'arriver?
    Et là:je ne sais pas.

    Je repense à l'ouvrage d'E.BADINTER "l'amour en plus" qui m'avait bouleversée (dans le sens de la remise en question) où elle démontrait que l'amour maternelle n'est pas un instinct.

    Théorie qui bouleversait de mentalités , dont la mienne.

    Voilà , j'aurai beaucoup encore à dire:mais je ne veux pas vous noyer sous ma prose!
    ------

    Les limites du savoir psy et les limites de la connaissance du lien affectif mère -enfant sont riches de portes à ouvrir dans nos recherches et remise en questions.

    Cette ambivalence d'une femme qui aime ses deux enfants vivants et qui tuent 3 autres de ses enfants me laissent en questions sur la complexité de l'humain.

    Complexité sur laquelle j'ai lu des horreurs (cf RUE89) et qui rejoint la mythologie:incorporer ces enfants (les congeler rejoint l'alimentaire) pour ne pas les perdre.

    Encore merci pour votre travail.
    Marie

    RépondreSupprimer
  4. Chère Marie,

    - Effectivement, ce procès a été une nouvelle occasion de montrer la limite des expertises psy.Et Maître leclerc, qui est un grand avocat, a su tirer parti de leurs contradictions et de leur opacité... qui cachent mal des ignorances ou de grossiers stéréotypes.

    - VC est une femme dont on ne sait dire si elle a fait un déni de grossesse. J'aurais tendance maintenant à penser, comme Spécula, qu'elle a plutôt fait un déni d'accouchement, confondu avec la mise à mort et la conservation de parties d'elles-mêmes. Il y a là un grand mystère, dont nous ne comprenons pas tout, et il est heureux que la sentence n'ait pas été plus lourde. Non, l'amour maternel n'a rien de naturel.

    - Imaginant que des horreurs avaient été écrites dans les commentaires des journaux, je n'ai lu que les articles de fond pour en faire la synthèse. Je n'avais pas envie de lire ces jugements à l'emporte-pièces, où s'exprime, parfois sans retenue, toute la haine contre les femmes et les mères.

    RépondreSupprimer
  5. Conclusion juridique de l'affaire (lue Dans Libération)
    ____________________________
    Le parquet de Tours a décidé de ne pas faire appel de la condamnation à huit ans de prison prononcée le 18 juin, par la cour d'assises d'Indre-et-Loire, à l'encontre de Véronique Courjault, accusée d'infanticides sur trois nouveaux-nés. «Au plan juridique, c'est une affaire terminée. Mais c'est une affaire par son développement et son contenu qui impose un certain nombre de réflexions, notamment sur le rôle des médias et la forme de la procédure», a indiqué Philippe Varin, procureur de la République de Tours et avocat général lors du procès. Ce dernier avait requis dix années d’emprisonnement (LibéOrléans du 17 juin 2009). Le Parquet avait jusqu'à lundi minuit pour faire appel, tout comme Véronique Courjault qui a également accepté le verdict, selon ses conseils.

    Elle encourait la réclusion criminelle à perpétuité.

    «À partir de maintenant, la reconstruction pour ma cliente va réellement commencer au niveau du travail psychiatrique», a déclaré Hélène Delhommais, un des conseils de Véronique Courjault. Pour l'avocate, «il faut souhaiter qu'il y ait une évolution de la loi, qu'elle reconnaisse ses pathologies (déni de grossesse)».

    «L'instruction m'a permis de prendre conscience de plein de choses, de me poser des questions. Mais je n'ai toujours pas de réponse. J'espère en trouver», a notamment déclaré Véronique Courjault lors de son procès, reconnaissant que les faits étaient «monstrueux et inexplicables».

    RépondreSupprimer
  6. Une affaire similaire de mère six fois infanticide, qui a été jugée.

    ____________

    Céline Lesage, 38 ans, a été jugée pour six infanticides commis entre août 2000 et septembre 2007 à Valognes (Manche). Elle a été condamnée jeudi 18 mars au soir à 15 années de réclusion criminelle par la cour d'assises de la Manche.

    Céline Lesage, qui n'a pas exprimé la moindre émotion à l'énoncé du verdict, est également condamnée à un suivi socio-judiciaire de 10 ans avec cinq années supplémentaires en cas de non-respect de ce suivi. Les jurés n'ont en revanche pas retenu la peine de sûreté demandée par l'avocat général Eric Bouillard.

    Ce dernier avait requis dans l'après-midi 16 ans de réclusion assortie d'une peine de sûreté de huit ans, ainsi que dix ans de suivi socio-judiciaire. Dans son réquisitoire, il avait jugé que "les faits ont été commis avec préméditation", démontrant ainsi qu'à chaque accouchement, Céline Lesage préparait près de son lit des serviettes, des ficelles et des sacs-poubelle.

    L'accusée n'a pu expliquer ses gestes

    Plus tôt au cours de cette dernière journée d'audience, Me Rodolphe Costantino, l'avocat de l'association Enfance et partage, partie civile, avait parlé d'un "acte monstrueux" alors que Luc Margueritte, le dernier concubin de l'accusée et père du dernier bébé avait, en tant que partie civile, demandé "une peine juste pour qu'elle se reconstruise".

    "J'ai conscience que j'ai tué mes bébés", avait répété en larmes Céline Lesage lors d'un dernier interrogatoire dans la matinée. "Oui, c'est moi qui a fait ça, mais pourquoi, je sais pas", avait-elle ajouté.

    Avant que les jurés ne se retirent pour délibérer, son avocate, Me Véronique Carré, avait expliqué que si sa cliente n'a pas donné d'explication, "c'est qu'elle n'en a pas!". "Elle a beaucoup changé en détention et sa difficulté à dire les choses, c'est sa prise de conscience. Elle a pris conscience que ces bébés étaient des êtres vivants", avait poursuivi Me Carré.

    Céline Lesage comparaissait depuis lundi pour "homicides volontaires aggravés". Elle encourait la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une période de sûreté de 18 ans. Pendant toute la durée de son procès, la cour a tenté de comprendre pourquoi cette jeune femme effacée avait agi de la sorte, mais Céline Lesage n'a pas pu, contrairement à ce qu'elle avait annoncé à l'ouverture du procès, expliquer ses gestes.

    RépondreSupprimer
  7. Une affaire qui me conduit à réactiver ce Fil, en réaction à des propos du Time. Lu dans Slate
    L'affaire des huit infanticides découverte à Villers-au-Tertre (Nord) a dépassé nos frontières et choqué la presse internationale. Outre-Atlantique, Time y va fort en posant cette question «aussi terrifiante qu'importante»: pourquoi un nombre croissant de femmes françaises tuent leurs nouveaux nés?

    «Trouver la réponse est devenue urgent quand on sait que c'est au moins la 5ème instance d'infanticide rapporté en France depuis 2003» affirme Time. En effet, BBC News rapporte également via son correspondant à Paris:

    En mars, une mère a avoué avoir tué six de ses nouveaux nés et les avoir caché dans le sous-sol de sa maison dans le nord-ouest de la France. Un autre cas connu est celui de Véronique Courjault, qui a été mise en prison pour avoir tué trois de ses bébés quand elle vivait en Corée du Sud et en France.

    Time a interrogé Michel Delcroix, un gynécologue qui a servi comme expert à la Cour dans le procès de Véronique Courjault et dans d'autres procès relatifs à des dénis de grossesse, jugeant qu'il «devient vital pour la France de se confronter au phénomène qui parait être derrière tout ça: le déni de grossesse».

    D'après Delcroix, le déni de grossesse est une condition presque schizophrénique dans laquelle les femmes soit ne réalisent pas qu'elles sont enceintes ou ne peuvent pas l'accepter -en tout cas pas assez pour pouvoir avoir recours à un avortement. Le déni psychologique est si fort qu'elles refusent de le croire même quand elles accouchent.

    «Ces femmes sont tellement convaincues que la grossesse est impossible que quand ce qu'elles n'ont jamais voulu arrive, elles ne le croient pas et se débarrassent come pour restaurer l'ordre»

    Delcroix se bat avec d'autres pour que le déni de grossesse soit reconnu médicalement et légalement comme une maladie, «ce qui permettrait de mieux identifier le problème et de la soigner plutôt que de simplement punir le crime qui en est le résultat» explique Time.

    Les experts ont observé que la plupart des femmes ayant fait un déni de grossesse sont soit en surpoids, soit voient si peu de différence qu'elles croient simplement avoir pris du poids.

    En France 230 femmes chaque année découvrent leur grossesse au moment de leur accouchement, précise Time. Bien-sûr, juste une petite fraction recourt à l'infanticide, mais Delcroix craint qu'il y ait d'autres cas encore inconnus.

    Time se fait l'écho d'une question de Delcroix qu'il juge «glaçante» : peut-on vraiment penser que ce phénomène -et l'infanticide auquel il peut mener- est purement un problème français?

    RépondreSupprimer

Vous pouvez copier et coller, dans la fenêtre ci-dessous, des textes saisis (éventuellement) auparavant sur Word. La correction orthographique des mots est vérifiée, et vous pouvez lire votre commentaire avant sa publication, en cliquant sur aperçu.
Une fois publié, le commentaire ne peut être réédité.