dimanche 17 mai 2009

Un bashing misogyne-colonial: Dior et Dati


Un bashing misogyne-colonial: Dior et Dati

par Monica


Blandine Grosjean a publié sur Slate.fr un texte très intéressant concernant Rachida Dati, que l'on pourrait intituler, pour reprendre le titre de Farid, Les médias français et la femme arabe.

Quoi que l'on puisse penser de la démarche politique de R. Dati, il est clair que le traitement médiatique dont elle pâtit met en jeu des stéréotypes très discriminants, à l'encontre des femmes et des personnes "d'origine arabe". Ce traitement rappelle le bashing à dominante misogyne dont Ségolène Royal est constamment l'objet.
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Rachida en Dior. C'est une allitération qui fait sauter la tête d'un tas de journalistes; ils s'en repaissent, ulcérés. S'ils (si elles) n'en concevaient pas tant d'indignation elles en ricaneraient, comme certaines de nos mères raillaient les Janine et les Micheline qui disaient «la voiture à mon père», «je vais au docteur» mais tenaient à inscrire leur filles au Conservatoire. Et pas aux majorettes.

Le problème avec Rachida, c'est qu'elle ne dit pas «je vais au docteur», ni «je retourne au bled», et que la robe Dior, elle la porte bien mieux que la plupart de mes consœurs ne le feraient, si elles avaient la chance de représenter notre beau pays. Personne ne se réjouit que la garde des Sceaux défende avec autant d'appétit et de chien les couleurs de la Haute couture française. Elle est belle, d'une beauté étrange, typée, revêche parfois, et on ne le souligne guère. Entre journalistes, on raconte qu'elle ne rend pas les robes que les grandes maisons lui prêtent, il y a toujours quelqu'un qui connaît quelqu'un qui lui a dit que chez Dior, ou chez Chanel, quelqu'un a affirmé, mais ce n'est jamais sourcé.

Ça colle juste avec ce sentiment qu'elle a usurpé le privilège de s'habiller en princesse et TOUT le reste.

En France, on aime — les journalistes se croyant féministes surtout — les femmes arabes courageuses qui militent contre le voile et les mariages forcés, s'habillent moderne mais pas trop mode et nous invitent à manger le couscous lorsqu'on fait un reportage sur les sales gosses de banlieues (leurs voisins, leurs frères, leurs fils). Dans un sens, Fadela Amara correspond mieux à ce qu'on attend d'une Arabe qui s'intègre en restant à sa place.

Blandine Grosjean précise qu'elle ne parle nullement du bilan politique ou gouvernemental de Dati, qu'elle n'apprécie pas, mais de la robe Dior et de ses avatars, dont elle décrit d'une façon percutante la dimension fantasmatique qu'elle appelle "érotico-coloniale" et que j'appellerais misogyne-coloniale:

Le fait que la rédaction d'un site ait décidé il y a deux ans, d'investiguer sur ses frais de représentation, et seulement les siens, que des auteurs d'articles et de livres sous-entendent sans jamais donner leurs sources qu'elle ait «couché» pour en arriver là, c'est misogyne — mais à quoi bon le relever — et c'est un fantasme «éroticolonial» doublement stigmatisant. Car dans la succession de supposés que cela entraîne, une Arabe qui couche hors mariage ce n'est même plus une Arabe: elle ne respecte pas sa culture, et les siens ne la respecteront pas. Je ressens cela comme étant du racisme, social, anti-maghrébin à son égard.

Évoquant en détail sa propre vie de fille d'origine sociale modeste, la journaliste rappelle la difficile situation des filles arabes: "les filles arabes se faisaient taper dessus, n'avaient pas le droit de sortir, servaient de boniches à leur frères; tout le monde le savaient y compris les profs, et personne ne disait rien".

Elle décrit les démarches que doivent mettre en œuvre ceux qui ne sont pas nés dans les classes sociales favorisées... démarches que l'on nomme, de façon péjorative, l'arrivisme et la méritocratie:

On reproche à Rachida Dati de s'être démenée comme une enragée pour rencontrer des gens importants, d'avoir écrit à tout ce qui pouvait lui être utile. Heureusement pour elle. Si chacun de ceux qui se gaussent de son arrivisme racontait exactement le chemin qui l'a mené au journalisme ou à la politique, quelles expériences familiales, sociales, quelles rencontres déterminantes l'ont aidé, il devrait convenir que cette somme de hasards a fait défaut à une Rachida Dati.

L'auteur évoque alors, avec une ironie mordante, le changement de statut qui attend "l'usurpatrice" Rachida Dati.

"Allez, l'usurpatrice ne sera bientôt plus garde des sceaux, la robe Dior et les carrosses avec chauffeurs et gyrophares vont disparaître sur le parvis de la Gare de l'Est où Rachida devra prendre, comme vous et moi, le TGV pour retrouver sa mansarde. A Strasbourg. Il est temps de rendre à la petite Arabe ce qui lui revient: sa robe Tati. C'est un des «scoops» d'un livre qui est sorti contre elle. Ça aurait pu être touchant, ce détail. Ben oui, les Arabes, surtout autrefois, se mariaient de cape en dragées chez Tati... Passer de la robe Tati à la robe Dior, n'est-ce pas tordant, ma chère?

Allez, Rachida, rendez la robe".

8 commentaires:

  1. On peut ne pas estimer du tout la ministre, et serrer les poings devant la manière dont la femme (et l'arabe) est traitée.

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  2. Exactement, Melchior. La journaliste le dit clairement, ainsi que vous et moi: nous n'apprécions pas l'action politique mise en oeuvre par Dati.

    Mais le Bashing est insupportable, que nous "aimions" ou non la personne qu'il affecte. Et là, il y a bien eu un Bashing, que les bien-pensants de gauche n'ont pas dénoncé, voire ont eux-mêmes nourri !

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  3. On peut ajouter la suspicion sur la validité de ses diplômes. Suspicion qui nous montrait en creux les limites du sens démocratique de nos élites : un ministre doit avoir de vrais diplômes et le diplôme est un gage de compétence!
    Concernant ses dépenses, elles sont scandaleuses, comme le sont celles de ses collègues. Mais ces dernières choquent moins car étant le fait d'une petite élite endogame, elles sont considérées comme un péché véniel qui ne vient pas trop souiller le sens de l'Etat de ces ministres. Dati elle, ne fait ce quelle fait que pour l'argent.
    Ca me fait penser à un bon mot de Surcouf en réponse à un officier qui lui disait qu'en dépit de leur alliance, le combat de Surcouf n'était pas digne puisque lui se battait pour de l'argent, alors que l'officier combattait pour l'honneur: "on se bat toujours pour ce que l'on a pas!" lui aurait-il répondu.
    Le Dati Basching est aussi le symptôme du caractère aristocratique de notre système politique : seules les personnes bien nées sont réputées désintéressées...
    Enfin, il y aurait aussi beaucoup à dire sur Fadéla Amara et la gestion opaque par "Ni pute, ni soumise" des subventions perçues par cette association. Mais comme le dit cette journaliste, Amara reste bien à sa place et valide les représentations les plus réductrices sur les garçons arabes en France. Elle ne dérange donc personne et son registre de langage lui est d'autant plus facilement pardonné qu'en tant que "beurette", elle doit être incapable de s'exprimer autrement...

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  4. Oui, Farid, il y a une intrication dans ce Bashing de la misogynie, de la discrimination par l'origine de classe et du racisme anti-arabe.

    Mélange détonant qui rend nécessairement plus scandaleusement "suspecte", et met nécessairement en position d'"imposteur" encore plus illégitime, la personne qui ose contrevenir aux stéréotypes attachés aux positions sociales assignées.

    Tout ce système de pensée et de jugement est d'un archaïsme, et d'une efficacité, effarants.

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  5. Joli billet, miss. Qui pointe bien, aussi, le problème que pose la réception de certaines figures médiatiques. On peut détester Rachida Dati pour ce qu'elle représente d'une certaine manière d'exercer les fonctions politiques, d'être dans le people à outrance. En même temps, elle incarne certaines avancées comme certains blocages de la société française, de sa représentation de la femme. Un noeud complexe. Il n'empêche que j'ai du mal à aller au-delà d'une certaine image qu'elle renvoie...

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  6. Coucou, Christine. Pour te dire le vrai, je me suis un peu forcée pour écrire ce Billet...car R. Dati ne m'a jamais été sympathique, notamment lorsqu'elle défendait - avec quelle hargne mais aussi quelle redoutable efficacité - Sarkozy durant la campagne présidentielle.

    Cependant, dans les critiques que l'on fait, il est important de dénoncer, au-delà de ses propres antipathies ou sympathies, les mécanismes de "bashing" - intriquant ici misogynie, racisme et discrimination de classe - quelles que soient les personnes visées...

    De même, il me semble très malsain de juger Sarkozy à sa taille, ou de le taxer de folie ou de toxicomanie.

    La critique est beaucoup plus forte lorsqu'elle attaque les pratiques politiques des gens sans mettre en oeuvre, ou reprendre à son compte, les mécanismes qu'elle dénonce ou combat par ailleurs.

    Pour R. Dati, on a assez d'arguments à émettre sur la politique de la Justice qu'elle mène sans qu'il soit besoin de l'attaquer sur la couleur de ses robes, l'identité du père de sa fille ... ou la taille de ses dents ;-)

    Et cela, même si elle fait elle-même un usage criticable de son image...

    Raison de plus, en fait, pour ne pas tomber dans le piège tendu...et garder nos propres valeurs...

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  7. Ce qui vaut aussi pour Sarah Palin, Christine Boutin, M.A.M ou Marine Le Pen. On a suffisamment de choses à leur reprocher sur le plan politique (au sens le plus large).

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  8. Un article de Jérôme Leroy dans Causeur sur Dati. Extraits.
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    http://www.causeur.fr/l-objet-du-dati,6099
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    C’est fou ce que Rachida aura été utile. Et utilisée. Instrumentalisée, même.
    J’ai déjà dit ici toute la sympathie paradoxale que m’inspirait, bien malgré moi, l’ancienne Garde des Sceaux, à l’origine d’une des politiques les plus répressives en matière de justice depuis 1945 et à un redécoupage de la carte judiciaire à la mitrailleuse lourde des contraintes budgétaires. J’ai aimé l’idée qu’elle ait vaincu tous les déterminismes comme seules savent le faire les beurettes qui ont décidé que justement, parce que tout était contre elles (misère économique, oppression grandfratriarcale, aliénation religieuse), il fallait être impitoyable, sans scrupule comme une force qui va. J’ai aimé l’idée de retrouver en elle cette rage maitrisée de mes anciennes élèves. L’humiliation et le sentiment d’injustice, chez les meilleures d’entre elles, ça donne des Jeannette Bougrab, des Fadela Amara, des Rachida Dati, des Nora Berra. Autant dire des invincibles. Le choix de servir la droite, chez ces femmes, est d’ailleurs logique puisque la gauche sociétale les a plus ou moins trahies en voulant les cantonner dans des postures victimaires. Et Rachida sur le perron de l’Elysée en 2007, lors de la photo de groupe du gouvernement, parachevait bien cruellement une défaite totale de la deuxième gauche et de son ethnodifférentialisme à la sauce compassionnelle.

    Qu’elle se retrouve maintenant au cœur de cette pantalonnade présidentielle est à peine surprenant. Se rappeler que si Rachida a rendu son corps si insolent, elle n’a fait que copier son mentor présidentiel. Lui, ce qui lui arrive ces jours-ci et dont il joue si bien n’est que l’aboutissement de la confusion qu’il a entretenu depuis le début de son mandat entre les deux corps du Roi, aurait dit Kantorowicz, c’est-à-dire le charnel et le politique, le privé et le public.

    Dans les romans noirs, il faut toujours une femme fatale, une méchante. Elle est souvent brune, d’ailleurs, chez les grands auteurs (Chandler, Goodis, Thompson) s’opposant à la blonde archangélique et rédemptrice. Rachida était donc idéale pour le rôle de la traitresse, la jalouse, la rancunière
    .

    Non, on vous le répète : la méchante est brune, et extrêmement sexuée, avec un corps dont on sait tout ou presque. Qu’il a été soumis à un mariage quasi forcé en 1991, qu’il a porté un enfant dans une surexposition médiatique qui a montré à quel point les hommes de pouvoir et les journalistes demeurent de gros beaufs aux blagues grasses. Un corps qui rit avec ses copines au téléphone quand il se retrouve dans un placard doré au Parlement européen et qui avoue son ennui comme il avoue ses plaisirs

    Rachida, évidemment, survivra à tout cela. Elle a été habituée à des punitions plus mesquines puisqu’elle faillit se faire virer de son lycée pour indiscipline. Et puis une 607, ça va, ça vient. Elle, elle pourra s’en passer sans problème parce que contrairement à tout ce petit monde qui la lapide ces jours-ci, elle n’a pas été élevée dans le coton de la bourgeoisie. Et elle sait ce que marcher à pied veut dire. Ce qui est toujours utile dans les traversées du désert.

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