dimanche 3 mai 2009

Esquisse d'une réflexion : comment pense-t-on ce que l'on pense?








Pourquoi et comment puis-je penser ce que je pense ?

Par Monica


Quand j'essaie de penser à des problèmes difficiles, qui mettent en jeu le social, l'imaginaire, la symbolique, je procède toujours de la même façon. Je me demande: Pourquoi est-ce que je me pose cette question? D'où me vient-elle? Dans quels termes convenus m'impose-t-on d'y penser et dans quels termes nouveaux pourrais-je tenter d'y répondre?

Je n'ai jamais eu de maîtres à penser, mais quelques auteurs m'ont révélé des choses qui m'ont éclairée. D'abord formée par des enseignants très imprégnés de la pensée marxiste et althussérienne, j'avais appris que le monde de la pensée se divisait très simplement en deux: l'Idéologie d'un côté, produite par un système social oppressif et aliénant, et la Science, reflet plus pur de la vérité.

Quand il a été question d'introduire une réflexion sur le Genre ou la Folie (mes deux sujets d'intérêt alors), la théorie binaire si claire et si simple s'est ébranlée. Comment se contenter de cette opposition manichéenne qui renvoyait aux calendes grecs (à l'après-grand soir) ce qui semblait capital à certains d'entre nous, engagés dans l'antipsychiatrie et le féminisme?

Un auteur m'a sauvée du marasme: Michel Foucault. Avec lui, j'ai compris que le monde est traversé de multiples relations de pouvoir (classes sociales, genre, races, pensée straight), que le réel est représenté par des mots qui le parlent (le tordent et le distordent), que la folie, le genre sont des constructions sociales complexes et non seulement des réalités d'ordre naturaliste. Que l'histoire est une constante réécriture. Que nos savoirs sont éminemment relatifs.

J'ai surtout appris que pour pouvoir penser certains sujets, il fallait déconstruire les présupposés qui les enserrent. Et que cette déconstruction est rendue possible parce qu'il existe des contradictions dans le système, des failles, par lesquelles l'ordre de la virtualité peut imposer ses possibles à l'ordre de l'immobilité.

Ainsi, je m'intéressai à une époque à la représentation de la folie chez les malades mentaux. Or, rien dans les théories qui me servaient de référence ne me permettaient de poser la question. Tout au contraire, la question que je posais devenait-elle impossible, folle. J'appris ainsi à détricoter les savoirs non pas pour les rejeter, mais en extraire les contradictions, en tirer des éléments d'ouverture et de clôture.

J'allai chercher dans la littérature des réponses à mes questions, car la littérature est le haut lieu d'exercice du virtuel. Grâce à Artaud, Virginia Woolf, Nerval, Leonora Carrington et d'autres, je pus ouvrir la question de la folie et mieux comprendre ce qui nous autorise à porter le diagnostic terrible de folie.

Car le diagnostic de folie, ne l'oublions pas, est avec la mise à mort, une objectivation suprême de l'autre. Et je pus aussi comprendre - c'était mon intérêt principal - comment certains êtres peuvent se tenir au bord de la folie, parfois y tomber, se relever, et créer des textes permettant le partage, la co-jouissance entre l'auteur et le lecteur. J'opposai alors deux notions: l'utopie (faille du système, voie du possible) et l'atopie (subversion du Symbolique, qui ne trouve pas son lieu). Cela me paraissait important pour aider les personnes sur le bord à rester dans l'entre-deux, sans chuter et à apprendre à négocier leur atopie en la retricotant avec les laines de l'utopie.

J'eus la même difficulté lorsque je tentai de subvertir la pensée psychanalytique sur le Genre. Une pensée terriblement clôturante. J'y parvins, avec d'autres. Oui, les hommes et les femmes sont différents. Mais ce que l'on appelle le féminin et le masculin est concevable et partageable par les êtres assignés à la naissance à l'un ou l'autre genre. L'humain porte en lui les virtualités de l'amour et de la haine, de l'activité et de la passivité, de la vie et de la mort, de l'homosexualité et de l'hétérosexualité. C'est de reconnaître tous ces virtuels et de les assumer au lieu de s'en défendre et de les projeter sur autrui qu'il tire souvent sa plus grande force.

Voici une autre leçon que j'ai apprise en adoptant cette vision flexible et dialectique du monde, celle de la modestie et de l'humilité : si je pense quelque chose, c'est parce que d'autres avec moi le pensent, ici et là. Comme je le dis toujours à mes étudiants qui cherchent à "inventer" et se désolent que leurs idées aient été écrites par d'autres: Mais c'est merveilleux, au contraire,de savoir que l'on partage avec d'autres une analyse du monde. Car c'est ensemble que l'on peut penser et agir.

8 commentaires:

  1. Très intéressant. Chez nous autres poètes ce sont les contraintes qui nous forcent à nous remettre en cause à chaque poème.
    Je voulais vous signaler qu'il y a un âne empoté qui n'arrive pas à entrer (moi je passe par la chatière, mais lui...). Il est reparti, mais vous fait passer ce message: "Je suis d'accord avec la teneur générale de votre billet, qui m'interpelle quelque part, comme dirait Griffollet" (il est gonflé), "mais pour le plaisir de la contradiction je conteste votre phrase:
    L'humain porte en lui les virtualités de l'amour et de la haine, de l'activité et de la passivité, de la vie et de la mort, de l'homosexualité et de l'hétérosexualité.
    Il me semble en effet que les quatre oppositions citées sont trop hétérogènes pour tenir dans le même sac. A bientôt et bonjour tout le monde."
    Il ajouté: mes tibias étang grabuge, ou mets t'y à part étang gros bug, quelque chose comme ça, il a dit que vous comprendriez.

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  2. Cher Griffollet, voyons de près la contradiction de plaisir que vous apportez.
    Qui vous a dit que ces quatre "oppositions" étaient "dans le même sac" ?
    - Elles ne relèvent pas du même registre, c'est vrai.
    - Sont-ce des "oppositions"? Ne seraient-ce pas plutôt des piles et faces des mêmes médailles, ou des versants, ou des contrastes, ou de compléments ?
    - La vie et la mort sont d'un ordre transcendantal qui nous échappe: nous naissons et nous mourons.C'est inexorable.
    - L'activité et la passivité sont des mécanismes psychiques partagés par tous, variables selon les âges, les moments, les personnes...
    - L'amour et la haine sont des sentiments souvent proches l'un de l'autre. Qui ne les a pas ressentis ?
    - L'homo- et l'hétéro- sexualité sont des modes d'identité et/ou de sexualité, que chaque humain a en "possibles", mais non nécessairement en "actuels" ou en "réels", pour de multiples raisons liées à son histoire.

    Le Baudet n'a pu passer ici ? Il faudra donc agrandir l'entrée ?

    L'étang - saumâtre - est en effet en pleine stagnation...Trop de N le rend impraticable, peut-être ?

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  3. Deux phrases de Michel Foucault rapportées par P. Veyne:

    « La vie a abouti avec l'homme à un vivant qui ne se trouve jamais tout à fait à sa place, qui est voué à errer et à se tromper.»

    "J'ai travaillé comme un malade toute ma vie. Je ne me soucie aucunement du statut universitaire de ce que je fais, parce que mon problème est ma propre transformation. Cette transformation de soi par son propre savoir est, je crois, quelque chose d'assez proche de l'expérience esthétique. Pourquoi un peintre travaillerait-il s'il n'est pas transformé par sa peinture?»

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  4. Faut-il se résoudre à n’avoir qu’une place? une “ sienne “ intégralement détaillée qui serait inscrite en nous a jamais et qu’il faudrait trouver à tout prix? Explorer la vie et les différents possibles pour soi est-il errer? Le problème est-il de se transformer ou d’apprendre (y compris à se connaître) et d’évoluer, se faire, se défaire un peu parfois... Travailler le plomb pour le sublimer encore et toujours ou prétendre en faire de l’or et bien sûr ne pas y arriver. Y croire parfois en toute immodestie.
    Je préfère donc sublimation à transformation. Expérience esthétique, bien sûr jusque parfois l’envie de déchirer la toile...

    Il est des peintres qui travaillent pour que leurs peintures les confirment, d’autres pour qu’elles leur montrent, d’autres pour qu’ils puissent dire au-delà et en deçà des mots, ou encore se montrer ou encore montrer qu’ils savent faire faute d’avoir à beaucoup dire. ou tout à la fois.

    Errons, trompons nous pour peu que l’on arrive à le faire ... gaiement. Avancer, apprendre, en voir des rouges, des vertes, des pas mûres, des nauséeuses et avancer gaiement. Gaité et optimiste ne sont-ils pas les plus grosses lacunes de l’éducation commune? Remplacer le fatalisme père de tous les renoncements, de toutes les soumissions par l’optimisme mère de tous les possibles...

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  5. "Errer", ce n'est pas s'égarer. C'est parcourir le monde,, le regard à la fois porté sur les brins d'herbe et embrassant l'horizon. C'est être ouvert à toutes les interrogations possibles, sans s'enfermer dans une définition et une explication figées. C'est explorer le monde avec tous les sens en éveil, en sachant que chacun de nous a des zones aveugles et donc des biais de perception et de sensation. C'est chercher à les débusquer afin de ne pas s'y laisser engluer...Indispensable lorsque l'on s'intéresse, comme le faisait Foucault, aux "marginalités", à tout ce que la société taxe de "non normal", et aux relations de pouvoir qui nous étranglent.

    Le "soi" de Foucault est évolutif, parce qu'il se laisse transformer par la découverte qui surprend. Cette transformation peut être d'or, de plomb, d'acier trempé, de laiton ou d'argent... Elle peut être parfois jouissive, parfois plus lourde.

    Mais je vous suis, chère Caroline, sur la gaieté. Oui, soyons gais ;o)

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  6. On réactive un vieux Billet...

    Un article intéressant dans Causeur, à propos du livre de Mark Anspach, Œdipe Mimétique préfacé par Alain Girard

    ŒDIPE

    Une petite mise en bouche:

    Voici ce qu’à la suite de Girard, Anspach nous apprend. Contrairement à ce que pense la psychanalyse, l’accusation d’inceste est mythique : pas plus que Domenech n’ira “se faire e…”, Œdipe ne niquera sa mère. A l’époque de Sophocle, le fait de brouiller les différences entre générations, de sombrer dans l’indistinction mimétique (pour parler girardien), était le pire des crimes, celui dont on avait besoin pour discréditer l’adversaire. Aujourd’hui sous nos latitudes, le pire des crimes est bien sûr celui d’être “nazi” (à moins d’être un prêtre présumé pédophile), et il ne faut pas s’étonner qu’Onfray et ses critiques s’échangent ce genre d’insultes, tout aussi mythiques. Personne ou presque, aujourd’hui, n’est nazi (ou même seulement nostalgique du nazisme) chez les intellectuels français, et sans doute personne ou presque, à l’époque de Sophocle, ne couchait avec sa mère, ni m’avait envie de le faire.

    Face aux accusations mythiques, nous avons besoin d’une pensée critique. Et cette pensée critique ce n’est ni la critique d’Onfray de la psychanalyse, ni la psychanalyse elle-même qui nous la fournit, prises qu’elles sont aujourd’hui l’une et l’autre dans la rivalité des doubles, mais la lecture girardienne d’Œdipe-roi et de la pensée de Freud que propose Mark Anspach.
    .

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  7. Julien Longhi analyse le parcours apparemment contradictoire de Chomski, linguiste générativiste innéiste, et politicien de gauche attaché à décrypter les manipulations des masses.

    Quand on veut rendre compte de la pensée de quelqu'un, il est effectivement intéressant de ne pas nier ses contradictions, et d'en respecter toutes les nuances. Loin de la pensée binaire en blanc ou noir...

    CHOMSKY

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